Jean Brisé annonce son millième tableau. Il est de ces créateurs que ne paralyse pas le projet ou l'imaginaire d'une perfection à atteindre, d'un idéal dont on approcherait par approfondissement, d'esquisses en ébauches, d'une forme qui révélerait, dans sa singularité précieuse, l'ambition dont elle est née. Jean Brisé ne connaît pas la mélancolie des rêveurs d'absolu, il multiplie les toiles, chacune, nouvelle, comme une épreuve tirée au jour de son imagerie profonde. Il est habité d'un désir d e peinture, comme Aragon disait l'être d'un désir de roman, le désir de vivre concrètement, quasi physiquement, la création d'un objet qui fasse trace, preuve d'un moment de vie vécu dans sa précieuse contingence. Un poète, Louis Guillaume, possédé, lui, par un désir de poésie, avait choisi de remplir d'un poème, chaque jour, la page d'un agenda, en respectant le nombre de lignes et la mise en page. Brisé écrit à sa façon, poétique elle aussi, le livre de sa vie. On aurait pu attendre de l'architecte qu'il est, qu'il construise des espaces géométriques abstraits; tout au contraire, il laisse des assemblages d'apparente fantaisie s'enchaîner, se dérouler, se dévider, dans un jeu de couleurs et de formes qui réordonne le monde sur la loi d'une vivante liberté.
Serge Gaubert, écrivain.
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La peinture de Jean Brisé est généreuse. Habitée. Le tableau y est le lieu d'une sorte de prolifération moléculaire de formes qui ne sont pas le produit d'une division, d'une fragmentation, d'une perte de substance, mais paraissent naissantes, animées d'une expansion, d'une poussée vitale, en puissance de devenir.Une multiplicité qui tend sans y atteindre, sans s'y fixer, s'y figer, vers une composition qui serait de l'ordre équilibré des bouquets (de fleurs ou de papillons) ou encore, unifiant les signes en lignes, de l'ordre d'une calligraphie savante, ou d'une architecture rêvée.Formes germinales, pas terminales, abstraites si l'on veut, à condition de préciser qu'elles ne s'éloignent pas d'une réalité pour s'en extraire, mais qu'elles suggèrent en l'approchant la cohérence d'un monde épanoui.
Un monde épanoui
La peinture de Jean Brisé éclate de vitalité. Aujourd'hui où dominent les effets ou les processus de défiguration (de Picasso, à Bacon ou, plus près de nous, à Boltanski), elle opte (dans l'ordre végétal ou minéral) pour le figuration au sens actif du terme. La plupart des tableaux, en particulier dans la dernière période de création, restent à distance d'une référence précise. Chaque découpe, prélève, comme perçu dans l'oeilleton grossissant d'un microscope, un morceau - un morceau ou un moment ? - d'un monde en formation. Fragments si l'on veut, à condition d'alléger ce mot de sa nuance péjorative. Il ne s'agit pas en effet du produit de la fragmentation d'une unité antérieure, d'une dissociation, mais au contraire d'éléments en cours, en voie, en puissance d'unification. Peinture informelle sans doute, c'est-à-dire à la recherche d'une forme qu'elle se garde d'atteindre parce que, s'y fixant, elle perdrait l'énergie, le mouvement quui l'anime.
La toile peinte (Jean Tardieu dans ses essais parlait de "porte de toile") propose une ouverture sur une image à la fois concrète, matérielle, et imaginaire, mentale... S'y combinent, en proportions variables, deux sources, l'extériorité du monde et l'intimité du moi. Le geste du peintre découvre, au sens fort du terme, ce qui dans l'ordre concret du vivant est encore à venir, en le saisissant dans des formes nées de ce vivier d'images et d'impulsions qu'est l'inconscient. Figures, concrétions, remuements, formes embryonnaires que la conscience reçoit, traite, et, par souci normal d'adaptation et d'éfficacité, convertit et assimile. Chaque tableau est ainsi saisi, à juste température, comme improvisé. D'où vient que Jean Brisé multiplie ces gestes, et que cette oeuvre soit si généreuse, si prolifique. La forme vers laquelle cette oeuvre tend, sa réalisation que le spectateur l'achevant, l'inventant à sa manière, imagine, est d'ordre soit végétal (compositions florales, bouquets) soit minéral (constructions, perspectives, alignements). Faut-il y voir la marque d'une existence partagée entre le goût de la nature (du jardin) et le métier d'architecte ? Dans d'autres tableaux, cette forme se donne de façon plus explicite, vases fleuris ou village à l'horizon. Cette double référence explique la coexistence, la composition, de deux lignes. D'un côté le cercle, la cellule cerclée d'un trait noir, la molécule, le premier état du vivant : le germe, de l'autre la droite, l'angle, une géométrie approximative qui multiplie les jeux dans un monde aux couleurs toniques (une riche gamme de tonalités claires). Une peinture, dans l'énergie d'un monde épanoui.
Serge Gaubert, écrivain.
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Fantasmagorie cosmique
Peinture informelle ? Pas sûre... Si tant est que le cosmos ne puisse être représenté, configuré, figuré... Jean Brisé, lui, nous le dévoile - n'est-ce pas le propre de l'Art selon Valéry - et l'étale en un feu d'artifice tantôt coloré de bleu ou vert, mais apaisant, tantôt éclatant avec ses dominantes rouge, orangé, et son jaillissement d'étincelles. Big-bang préfigurant une peinture cosmique, éclosion d'un monde annonciateur de joie, pourquoi ne pas y lire la jouissance du peintre au milieu de ses couleurs et d'ouverture à Eros. Voilà une autre dimension de cette peinture sensuelle : de manière symbolique on retrouve, soit en tout petits, minuscules dessins, soit donnant au tableau son thème premier, la forme triangulaire de la fleur femelle, de la fleur mâle : le sperme s'écoule, la germination s'opère, parfois dans une étroite gorge, grotte d'un bleu profond. De manière plus expressive cette fois, apparaissent ça et là, comme des inclusions - et non pas exclusions - un "oeil-sexe de femme", un petit rond entouré d'un cercle : oréole et mamelon de sein. Puis le tableau s'anime et s'ouvre à la vie : naissent sous des formes géométriques à la manière cubiste, toits et villages (Château-Chalon) à peine discernés, mais surtout surgissent de partout, sur les côtés de la toile, de tout petits personnages virevoltants et s'agitants. S'agirait-il alors d'une vision pessimiste et Pascalienne de l'homme morcelé : seins-yeux-sexe, et perdu dans l'univers dont il n'est, ne serait semble-t-il pas le centre ? Ou est-il ébloui par ce monde coloré, bouillonnant qui en est encore à son balbutiement et d'où il émergera plus grand, plus uni, dans les toiles à venir ? Peinture allégorique aux nombreuses facettes : fantasmagorie cosmique ? Création du monde ? Vision Pascalienne que sont grandeur et petitesse de l'homme, ou Homme - par delà la peinture - à la recherche d'Eros, d'un Moi plus incarné et plus vivant ? On peut ainsi se promener d'une toile à l'autre entre rêve, onirisme, érotisme, philosophie ou science, y retrouver notre propre quête, dans un ensemble coloré, étincelant et très harmonieux.
Odile (ou Olympe) Bernez-Jorez.
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Observer un tableau, en faire lecture suppose qu'on tente, au risque de fausse route,d'en retrouver, peut-être seulement d'en imaginer, la naissance et la genèse : hasard ounécessité ? J'ai eu tout récemment à m'interroger devant un beau et bon nombre de tableauxde Jean Brisé.Au début, une distribution sur la toile à l'aventure, sinon à l'aveugle, de formesindécises et de couleurs variées autour de quelques lignes de force, en écriture improvisée,signes en attente, en recherche d'équilibre, de cohérence poétique. Une sorte d'automatismequi dispose des espaces diversement soulignés, diversement intenses en valeurschromatiques, inégalement suggestifs. Le peintre travaille alors sur cette matière,paraccentuation, ici, d'une tonalité, par soulignement d'une forme ou recouvrement par largesaplats de tel fragment dont la présence devient discrète ou se réduit à une trace. Ainsi secompose, se prête à l'interprétation, un jeu de géométries et de valeurs colorées dont le peintreaugmente ou atténue, très consciemment, la capacité évocatoire. Il laisse ou fait apparaître iciun profil ou une silhouette, des personnages qui échappent à la pesanteur à la manière deChagal, là, par concentration ou condensation en archipels, il délimite des zones de grandedensité formelle et chromatique en damier , en grappe ou en bouquet.Tout va comme si Jean Brisé se donnait, dans la création, ce plaisir supérieur de jouerà découvrir (couvrir pour découvrir) chaque fois, un nouveau petit monde. De là qu'ilmultiplie l'expérience. Beaucoup de peintres paraissent extraire leurs oeuvres d'un gisementobscur ou tâtonner sans fin par scrupule de perfection. On assiste chez lui à l'exercice enjouéd'une liberté qui aime se mettre à l'épreuve.J'hésite à faire allusion à ce qui me lie d'amitié avec lui. Nous nous sommesrencontrés il y a longtemps, c'était alors un jeune gymnaste, il peignait déjà et se préparait àdevenir l'architecte qu'on a connu. Serait-ce trop forcer le trait ou céder à la facilité d'unrapprochement que de trouver dans son oeuvre une manière de synthèse entre ces deuxpratiques ? Le gymnaste, l'acrobate, multiplie les figures libres, gratuites, que l'architecte,reprenant la main, compose et construit. Et c'est la conjugaison heureuse de l'improvisation etde la maîtrise, du hasard et de la nécessité, dans une créativité qui n'en finit pas de s'éprouveret de s'étonner elle -même.Cependant, loin de s'enfermer dans une pratique narcissique, à l'écart, il s'emploie trèsactivement à faire connaître la peinture, la plus grande, la mieux reconnue. En témoigne sonimplication dans la mise en place d'une biennale qui réunira à Cuiseaux, dans la ville natalede Vuillard, de nombreux peintres contemporains. C'est l'occasion pour lui de rendre unhommage actif, créatif, réactif à Vuillard. Il a décidé de prendre pour modèle quelques-unsdes tableaux les plus célèbres du peintre. Celui-ci travaillait sur le motif : des scènesd'intimité le plus souvent, qu'il interprétait de manière à en rendre les formes et plus encore,la tonalité, les valeurs chromatiques, homogènes. A faire que la diversité, la disparité, du réelaccède à cette unité musicale, harmonique, qui en est comme la recréation sensible. Jean Briséprocède en quelque sorte à l'inverse, il suit, s'approprie les lignes et les formes du modèle,remonte à l'origine concrète, réelle, du modèle pour, à son tour, à sa manière, en proposer unelecture personnelle. La superposition des deux représentations retient comme un effet d'échoà travers le temps, de dialogue. Il s'agit, non pas d'imiter le modèle mais de prendre élan surce tremplin pour éprouver et affermir sa propre manière, façon d'exercer conjointement lasouplesse du gymnaste et la sagesse de l'architecte.
Serge Gaubert
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Le sens est direction,orientation,mouvement spatialisant,projet se faisant objet. Ainsi,l'energie picturale projette sur la toile des couleurs qui la structurent alors en un fragment de nouveau monde; leur dessin est la trace du dessein habitant le peintre.Et le plaisir,la récréation du spectateur nait de sa re - création facilitée du geste inaugural reussi de l'artiste.C'est à cette re - création récréative que ,depuis des décennies,nous invite généreusement jean brise.
Bernard bourgeois ,philosophe ,de l'académie francaise